Résumé : Tolstoï a écrit La mort d'Ivan Ilitch entre 1884 et 1886, trois ans avant La sonate à Kreutzer, Maître et serviteur est de 1898 ; avec Résurrection, c'est sa dernière oeuvre d'imagination a avoir été publiée de son vivant. Les analogies qui existent entre ces deux longues nouvelles sont frappantes : Ivan Ilitch, le fonctionnaire modèle et le maquignon Brékhounov subissent chacun une crise terrible qui aboutit à une résurrection ou plutôt à une seconde naissance. Sous l'action, l'un, de ses atroces douleurs physiques, l'autre de la terreur et de l'abandon, ils retrouvent leur vraie personnalité ; leur âme se dépouille de tous les sentiments, de toutes les idées qu'elle avait contractées dans la vie sociale, se voit nue, se juge et renonce à soi pour renaître pure à une vie nouvelle qui est, du point de vue des humains, la mort. Dans l'immense production de Tolstoï, ces deux textes occupent certainement une place de premier plan : jamais son art n'a été plus condensé et en même temps plus riche. Jamais Tolstoï n'a atteint à une plus parfaite simplicité, à une plus pure nudité. Si "classique" est synonyme de mesure, d'équilibre et de goût, La mort d'Ivan Ilitch et Maître et serviteur sont des oeuvres classiques où l'on sent, sous l'harmonie formelle, la tension formidable de la pensée de Tolstoï, l'inquiétude et la passion qui l'agitent. Cette perfection est instable, donc vivante, et c'est précisément ce qui en fait la beauté.